Propos recueillis par Séphora Talmud. Photos prises par Elodie Daguin.
On les appelle des « influenceuses ». Derrière ce qualificatif mystérieux se cachent deux jeunes filles malicieuses, créatives et ambitieuses. Leur aura dépasse les frontières d’Instagram de par leurs univers audacieux et leurs prises de parole sincères. Symboles d’une génération, elles donnent une image bien loin des clichés de la blogueuse mode. A suivre !
Votre couleur préférée
Roxane Ralidera : Noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir.
Neila Romeyssa Sayah : Pourpre
La ville où vous aimeriez vivre
Roxane Ralidera : Londres
Neila Romeyssa Sayah : Le Caire ou Beyrouth
La qualité vous préférez chez une femme / chez un homme
Neila Romeyssa Sayah : La sincérité / La douceur
Roxane Ralidera : La sincérité / L’intégrité
Roxane Ralidera : Salut Neila Romeyssa ! J’avoue, je t’ai stalkée avant cette interview. J’ai regardé tout ton compte Instagram et c’est vrai qu’on se ressemble. Je suis d’origine franco-malgache et on me dit souvent que je ressemble à une marocaine.
Neila Romeyssa Sayah : Hahah moi aussi, on me prend pour une marocaine, mais je viens d’Alger ! Cela fait 6 mois que j’habite à Paris. J’ai 19 ans. Je suis étudiante en 1ère année de Lettres, Édition, Média et Audiovisuel à La Sorbonne et en parallèle, je suis “influenceuse”, j’ai un blog depuis 2014. Je suis aussi contributrice pour le Huffington Post Maghreb depuis janvier 2015. J’écris ce que je veux, par exemple un article qui s’appelle “Es-tu sûre de vouloir m’appeler beurette ?” Et toi ?
Roxane Ralidera : Ha cool ! Moi j’ai 23 ans, je viens de Montpellier et comme toi, ça fait 6 mois que je suis sur Paris. Je suis en dernière année à l’EFAP en MBA Communication Marketing, et j’ai un blog depuis 2010. Et j’ai rejoint La Bande En Sneakers en 2016. En gros, on est 12 blogueuses qui avons toutes en commun l’amour des baskets, et le 3ème vendredi de chaque mois sur le blog on poste sur un thème commun. On a aussi un compte Instagram. Et Il y a quelques semaines, on a organisé notre premier anniversaire, en partenariat avec Reebok. On fait des évènements, ça commence à bien grandir, donc c’est cool.
Neila Romeyssa Sayah : Top ! Moi, j’aime bien travailler en équipe, sauf pour mon Instagram, où j’ai besoin de décider seule de ce que je poste. Je publie ce que je veux, il n’y a pas de pression. Mais j’aime avoir des avis différents. Ecouter les avis des autres et en proposer, ça aide.
Roxane Ralidera : J’ai beaucoup de mal avec ça. Je n’aime pas déléguer le travail, quand on a des projets en cours, c’est moi qui contrôle tout de A à Z. Même moi, ça me saoule. Après, avec La Bande En Sneakers, même si on est 12 filles, ça se passe bien et on poste seulement ce qui nous plaît. Ca ne m’a jamais posé de problème de refuser des contrats. Je ne fais pas de la pub pour des choses que je n’aime pas. Ca se voit tellement les filles qui font des posts juste pour l’argent, ça fausse tout. Comment t’as commencé ton blog ?
Neila Romeyssa Sayah : En fait, j’ai d’abord créé le blog pour savoir comment créer un site web et pouvoir publier mes photos de voyages, de looks. C’était à une période où j’étais détachée de tout, j’en avais marre des réseaux sociaux, je venais de quitter le lycée en terminale, sans le bac – je l’ai repassé en candidate libre par la suite. J’ai envoyé mon blog à mes amis et c’est parti crescendo, c’est comme ça que j’ai découvert le milieu des blogueuses. J’étais la seule blogueuse à Alger, d’ailleurs. Je sortais à 5h du matin pour prendre des photos dans la rue parce que j’avais peur de ce qu’on allait me dire. Mais au fil du temps, vu que je trainais dans les mêmes quartiers, les habitants l’ont très bien pris et j’ai fait leur connaissance, du coup c‘était plus facile pour moi.
Roxane Ralidera : C’est pas dur d’être la seule blogueuse d’Alger ?
Neila Romeyssa Sayah : J’ai déjà eu quelques détracteurs qui me demandaient pourquoi je me prenais en photo, etc. Une fois, on m’a taguée sur Facebook en commentaire d’un article d’un média algérien qui racontait une histoire d’une fille avec une jupe qui lui arrivait au-dessus du genou. J’ai eu un déclic, depuis, je je continue mon blog pour inciter la femme algérienne à sortir dans la rue et à se prendre en photo, comme elle le souhaite.
Roxane Ralidera : Qui visite ton blog ?
Neila Romeyssa Sayah : Mon lectorat est principalement basé au Maghreb, Tunisie, Maroc, Algérie. Après, depuis que je me suis installée en France, il y a beaucoup de personnes qui me lisent ici et ensuite, il y en a plein au Moyen-Orient. Mon site n’est pas traduit en arabe, donc ce sont des francophones. Mais bon, sur Instagram, je ne fais pas forcément attention et il m’arrive de poster en arabe. Comprenne qui pourra ! Après, c’est sûr qu’il y a plus d’opportunités à Paris que là-bas, où il n’y a pas d’agence de presse, ils ne savent pas ce que c’est, une blogueuse. Il y quelques médias qui m’ont relayée, comme Style of Arabia, qui vient du monde arabe, mais pas d’Algérie. C’est plus facile de faire ça en France. J’ai visé Paris parce que la plupart de mes amis sont installés là et je n’avais aucune envie de me retrouver seule. Paris c’est pas forcément le rêve pour moi, c’est juste une priorité pour mes études.
Roxane Ralidera : Je comprends. C’est pareil pour moi. J’y suis pour les études. Là, je voulais quelque chose de plus professionnalisant que la fac et faire un stage de fin d’études à Paris en tant qu’attachée de presse dans le luxe. C’est plus par choix stratégique, c’est un tremplin, mais après je ne me vois pas y rester toute ma vie.
Neila Romeyssa Sayah : Moi non plus. Je ne sais pas pour toi, mais je trouve ça très dur de concilier les études et le blog. Franchement, parfois, j’ai envie de tout arrêter. Quand j’étais à Alger, j’étais habituée à voir ma famille et mes amis tout le temps. Même si depuis toute petite, je fais des allers-retours plusieurs fois par an entre Paris et Alger, désormais, je dois rentrer chez moi, faire le ménage, j’ai découvert ce qu’étaient les impôts, plein de choses dans le genre… C’est trop d’un coup ! Parfois, je m’organise plus facilement, mais c’est quand même dur.
Roxane Ralidera : Tellement. Il y a deux ans, je suis partie à Londres et j’ai dû stopper le blog, car je bossais, donc je n’avais plus le temps de l’alimenter ni ma petite soeur pour m’aider à prendre des photos. Depuis que je suis arrivée à Paris, je reprends petit à petit, j’ai refait mon blog il n’y a pas longtemps, je suis rentrée dans La Bande En Sneakers. Vu que je viens de Montpellier, t’es loin de tout. Habiter à Paris, ça permet d’assister à tous les événements et de rencontrer les bonnes personnes.
Neila Romeyssa Sayah : Ha oui, je comprends totalement, quand j’étais à Alger, il n’y avait rien du tout, aucun évènement de blogueurs. Attends, mais c’est ta petite soeur qui prenait les photos de tes looks quand tu étais à Montpellier ?
Roxane Ralidera : Oui. On était super jeunes, j’avais 17 ans et ma soeur 10 ans ! Bon, quand je regarde les premières photos, c’est pas top, mais j’ai rapidement eu des retours d’attachés de presse, j’ai été vite invitée aux soirées.
Neila Romeyssa Sayah : C’est cool ! Et pourquoi ce nom de blog ?
Roxane Ralidera : Mon blog s’appelle Sunters. Ca ne veut rien dire de particulier, car je n’ai pas voulu qu’il soit rattaché à ma personne directement. J’ai commencé le blog par passion, c’était en 2010, au tout début. On ne parlait pas encore d’articles sponsorisés, d’argent, de business. Maintenant on entend des filles qui veulent être blogueuses mode, mais ce n’est pas un métier à la base. Tu deviens ‘blogueuse’ ou “influenceuse”, comme on dit maintenant, parce que ce que tu fais plais et est vrai. Je suis toujours un peu détachée de ça, c’est quasiment une double vie. A côté j’ai mes études, mes ambitions professionnelles.
Neila Romeyssa Sayah : Okay. Avant, mon blog était éponyme, avec mes deux prénoms : Neila Romeyssa. Et j’ai voulu élargir la chose en l’appelant The Coffee Knafeh. Je trouvais que cela rimait bien et puis c’est par rapport à la pause café que tout le monde fait, et knafeh, c’est un pâtisserie libanaise que je prends depuis toute petite, puisque c’est ma grand-mère qui me la prépare. Je voulais donner un touche orientale au blog. Il y a plusieurs catégories ; je poste principalement mes looks, des voyages, du lifestyle ou je raconte des choses qui m’arrivent. Je parle aussi beaucoup de la culture arabe, arabo-berbère ou arabo-orientale.
Roxane Ralidera : Du coup, tu l’as plus orienté comme un vrai site, un magazine.
Neila Romeyssa Sayah : Oui, parce que maintenant j’ai deux contributrices qui travaillent avec moi, et j’aimerais bien que ça dérive vers un vrai site web.
Roxane Ralidera : J’ai remarqué que quand tu commences à blogger, soit tu continues vraiment dans un pur blog mode soit tu l’orientes vers un magazine plus comme tu fais.
Neila Romeyssa Sayah : Oui, c’est ça que j’aimerais bien faire. Qu’il y ait plus de contributrices/eurs entre le Moyen-Orient et l’Occident, qui publient constamment dessus. D’ici 5 ans, ce serait possible.
Roxane Ralidera : C’est trop bien. Plus tard, je me vois bien Directrice Presse luxe à Londres.
Neila Romeyssa Sayah : Moi, franchement, si je pouvais, je ferais un truc de dingue avec une marque du Moyen-Orient autour de la création stylistique… Un truc By Neila Romeyssa, ce serait génial ! Je me rends compte que la plupart des marques avec qui j’aime travailler sont indépendantes. Je rencontre les designers, comme Nafsika Skourti, qui est une marque jordanienne ou Collina Strada ou encore la marque de chaussures Maison Ernest, avec qui j’ai collaboré dernièrement. En fait, ce sont des gens avec qui je m’entends au début de manière professionnelle et après ça devient amical. J’aime bien quand c’est ça se passe ainsi, c’est détente.
Roxane Ralidera : J’avoue ! Et du coup tu penses quoi des marques de luxe françaises ?
Neila Romeyssa Sayah : Je pense à Balenciaga qui a fait des couffins que portaient mes grand-mères à Alger. Le truc coûte 2 euros à la base et ça fait drôle de les voir à quasiment 1000 euros. Je ne comprends pas pourquoi un panier que l’on peut trouver dans un marché à quelques euros peut coûter aussi cher. Ca va un peu trop loin. Faut essayer d’avoir plus de créativité.
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Séphora Talmud. Photos : Elodie Daguin.