Interview-miroir parue initialement sur Brain Magazine le 25 mars 2015.
Propos recueillis par Séphora Talmud. Photos prises par Elodie Daguin.
A ma droite, Soko, comédienne et musicienne. A ma gauche, Juliette Lamet, comédienne et mannequin. L’une est brune/décolorée, jolie et porte des perfectos. L’autre est châtain, jolie et porte des perfectos. Les deux demoiselles pourraient échanger leurs rôles tant leurs caractères et leurs traits similaires les rapprochent. Premier rendez-vous entre deux âmes soeurs, à l’occasion de la sortie du nouvel album de Soko.
Juliette Lamet : Il paraît qu’on se ressemble physiquement, mais pas que.
Stéphanie Sokolinski (Soko) : C’est normal, tu as une tête de chat, comme moi. Tu fais quoi dans la vie ?
Juliette Lamet : Je suis comédienne. Je sais que tu l’es aussi ; tu as tourné dans pas mal de films, mais tu ne fais pas que ça, tu es aussi chanteuse. Raconte-moi ton parcours entre le cinéma, la musique et la mode.
Soko : J’ai perdu mon père quand j’avais 5 ans. Suite à ça, ma mère m’a inscrite à plein d’activités pour me sortir de la maison : judo, natation, danse, piano, équitation, théâtre. J’ai su très tôt que je voulais être actrice. L’idée de raconter des histoires me fascinait. J’étais très bonne élève, mais pas du tout à l’aise avec l’esprit de compétition qui régnait à l’école. Je suis arrivée à Paris à 16 ans et j’ai vite travaillé en faisant de la figuration. A l’époque, je voulais être sur des plateaux et apprendre le métier. J’allais à des cours de théâtre, mais je me retrouvais encore en compétition. C’était tellement aux antipodes de mon fonctionnement : je pense que chacun a sa place et qu’on peut tous y arriver en même temps sans avoir à écraser les autres.
Juliette Lamet : C’est le milieu qui veut ça aussi.
Soko : Oui. En fait, je ne suis pas très scolaire.
Juliette Lamet : Ca te stresse ?
Soko : Ca me terrifie. J’ai toujours été une grosse nerd de musique, j’allais à des concerts tout le temps. Je partageais ma vie entre le babysitting, la figuration, les cours de théâtre et les castings…
Juliette Lamet : C’est exactement ça, la vie de comédienne débutante.
Soko : Et toi, comment as-tu commencé ?
Juliette Lamet : J’ai fait 10 ans de danse classique. J’ai évolué dans le milieu artistique et j’ai suivi des cours dans une école de stylisme. En en sortant, j’ai posé pour une campagne de parfums Cacharel.
Soko : Très cool. C’est ce que tu voulais faire ?
Juliette Lamet : A la base, je n’y avais pas pensé. Mais vu que j’étais souvent en représentation sur scène via la danse, c’est devenu naturel. Ca me plaît beaucoup. Tu n’as pas fini de me raconter ton histoire. Tu écrivais tes chansons pendant que tu courais les castings ?
Soko : Oui, j’ai toujours beaucoup écrit. C’est la seule manière d’arriver à surpasser mes blocages. Ca me permet de transformer un truc hanté en un truc plus artistique et light. Je voyageais beaucoup avec mes potes musiciens. Je restais souvent chez eux à regarder tous leurs instruments en ayant envie de tout toucher. J’ai appris à jouer de la guitare, basse, batterie, petit à petit, toute seule. Il ne tient qu’à moi d’avoir la rigueur de créer des choses chaque jour pour alimenter ma passion et mon énergie créative. Vers mes 20 ans, je n’arrivais plus à créer à Paris, donc j’ai déménagé à Londres, puis à New-York et à Seattle. Je vis à Los Angeles depuis 7 ans maintenant. J’ai l’impression d’avoir complètement assis tout mon univers musical, en partie grâce aux dispositifs créatifs hyper-accessibles qui existent là-bas. Les gens ont tellement d’énergie, ils veulent toujours participer. C’est tellement rare. Ca me donne une énergie incroyable.
Juliette Lamet : A Paris, c’est beaucoup plus écrasant.
Soko : Oui. L.A. est trop inspirant : dès que j’ai une idée, je peux la concrétiser en un jour. J’ai réalisé mon avant-dernier clip dans un car-wash seventies, avec des couleurs dégueu et des néons pourris, sur Santa Monica Blvd. Je rentrais d’une soirée avec ma meilleure pote Nina Ljeti, qui est une réalisatrice de 23 ans sidérante – elle m’a confié un rôle dans son deuxième long-métrage, Things You Missed While We Were Gone, qui va sortir cette année. Donc, au car-wash, on a tourné mon clip en VHS, en deux heures, avec tous mes potes. Tous les plans où je ne suis pas dedans, c’est moi qui filme. Mes deux caméras n’avaient pas de batterie, donc j’ai été obligée de les brancher sur la batterie ma voiture. Tout était tellement à l’arrache. C’était dans un quartier de junkies et de crackheads qui se demandaient si c’était une performance artistique.
Juliette Lamet : Tu as ta carte verte ?
Soko : Oui, depuis 3 semaines. Je suis trop contente, je me suis battue pour l’avoir. Tous les 3 ans, je devais repayer entre 5 000 et 10 000 euros pour avoir un visa de 3 ans.
Juliette Lamet : Niveau mode, tu as posé pour Surface To Air, CK One, Just Cavalli, tu es amie avec WREN (le fameux First Kiss), AMI…
Soko : En fait, faire de la musique en indépendant, ça coûte beaucoup d’argent, et à un moment donné, je m’auto-sabotais et me censurais d’une exposition certaine et de collaborations intéressantes en refusant de faire des apparitions dans la mode. En plus, j’ai toujours adoré les fringues. Tout mon stock à L.A. en est rempli. Mes potes veulent juste y aller pour m’en piquer. Figure-toi que c’est seulement l’an dernier que j’ai eu le déclic de tout accepter en mode YOLO.
Juliette Lamet : Si tu pouvais être quelque part, maintenant, où serais-tu ?
Soko : J’ai arrêté de penser que l’herbe était toujours plus verte ailleurs. Pour arrêter d’être déprimée, j’ai pris conscience que je devais être heureuse là où j’étais, tout le temps. Vivre le moment présent. Du coup, je ne pense jamais au manque d’une personne ou au fait de préférer être ailleurs. Je fais tout pour passer le meilleur moment du monde. Il ne tient qu’à moi d’en faire un moment fun, où je ne m’ennuie pas, où j’apprends à connaître les gens en passant du bon temps avec eux. Tu as quel âge ?
Juliette Lamet : 23 ans.
Soko : Okay, t’as encore un peu de temps. En astrologie, il y a un truc qui s’appelle le « Saturn Return« , qui se déclare vers 28 ans. C’est une période où tu te poses mille questions existentielles. Alors, moi, n’en parlons pas : j’ai perdu mon père très tôt, donc j’ai peur d’être abandonnée, rejetée, de rater tout ce que je fais, de m’engager dans des relations parce que ça peut foirer ; je suis complètement « undatable« , terrifiée par l’amour. Je suis encore en train de pleurer sur la personne avec qui j’étais il y a 3 ans.
Juliette Lamet : Justement, entre Ariel Pink et toi, il s’est passé un truc, non ? Comment définirais-tu votre relation ?
Soko : Très conflictuelle. C’est mon ex. Lors de son récent concert à Paris, je l’ai maquillé et j’ai chanté un morceau avec lui, mais il est tellement compliqué qu’il m’a engueulée parce qu’il trouvait que je ne l’avais pas assez remercié de m’avoir fait monter sur scène avec lui. Il criait : «je suis une putain de star, okay ?». 10 minutes plus tard, il m’a dit : «tu sais, on baise quand tu veux hein, t’as qu’à me le demander et on le fait». J’étais là : «non merci, ça va, j’ai pas envie d’avoir ton herpès». J’ai une relation plutôt saine avec lui, mais de son côté, ce sont des montagnes russes. Il se sent tellement en compétition avec moi.
Juliette Lamet : S’il y a de la jalousie envers ton travail, ça doit être compliqué…
Soko : Je tolère ses sautes d’humeur parce que, quand on fait de la musique ensemble, c’est un truc de fou. Il devait mixer mon album. J’attendais ça depuis 3 mois. Et le mec me plante 2 semaines avant de rendre mon album en me disant que je lui fous trop la pression. Du coup, c’est Kenny Gilmore, qui bosse avec Ariel, qui a mixé mon album.
Juliette Lamet : Considères-tu ta musique est une thérapie ?
Soko : Oui. C’est aussi naturel que manger, boire et respirer. Tu as dû vivre ça avec la danse, toi aussi : être sur scène, c’est vraiment le seul moment où tu ne peux pas penser à autre chose. Seul le moment présent importe.
Juliette Lamet : Complètement. Tous les problèmes de la vie disparaissent.
Soko : Tu ne peux qu’aller bien. Je donne tout sur scène, après je suis vidée. Tous les soirs après les concerts, je vends mon merchandising. Je reste une heure à discuter avec les gens, qui sont parfois hyper-fragiles, certains ont fait des tentatives de suicide et m’avouent que ma musique les a aidés, ils me montrent même leurs scarifications… C’est tellement fort. Je m’ouvre aux gens, je leur fais des câlins. Je ne fais que donner, donner, donner. Après je n’ai plus rien. Tu as déjà vécu la « post-tour depression » ?
Juliette Lamet : Oui, quand tu rentres de tournage après avoir passé du temps dans un cocon avec les mêmes personnes. Quand tu te retrouves lâchée dans la ville, dans ton appart et que tu attends les prochains castings et rôles.
Soko : C’est pour ça que je n’attends jamais.
Juliette Lamet : D’où tiens-tu cette niaque ?
Soko : Ces dernières années, j’ai été confrontée à mes pires craintes, j’ai fait une méga dépression. Et bizarrement, cet album, qui est plus gai que les précédents, m’a obligé à enterrer mes vieux démons, rendre hommage au passé et à l’accepter. Vu que mon père est mort dans son sommeil, chaque soir, je m’endors en pensant que je ne me réveillerai pas et chaque matin, je suis encore vivante. Désormais, ça va beaucoup mieux. Il faut que chaque jour soit le meilleur jour de ma vie.
Juliette Lamet : Je bois tes paroles. Il y a plein de phases dans le métier de comédienne où tu doutes, tu te remets en question et parfois, je me demande pourquoi je me pose autant de questions.
Soko : Déménage à Los Angeles. La qualité de vie là-bas est incroyable : le ciel bleu infini et les palmiers. Tu es plus indépendante, tu prends ta voiture et tu conduis jusque dans des endroits dingues que tu n’aurais jamais imaginés. C’est plus stimulant et spontané que Paris. Je vais faire ma vie à L.A., je m’y sens trop bien. Mes potes sont tellement inspirants et la scène musicale est top : Warpaint, Ariel Pink, Deap Vally… C’est facile de collaborer avec des gens, tout le monde est hyper-ouvert. Pardon, je te vends du rêve.
Soko : C’était trop bizarre. J’étais avec Kristen Stewart dans une soirée. Elle m’avait attirée dans une chambre et criait «fuck my ass !». J’étais un peu perturbée. Soudain, un vieux apparaît et me traite de pétasse, sauf qu’il était en train de violer Kristen Stewart. Je me casse de là, toute nue dans L.A., et je cherche à m’habiller. Je demande aux gens de googler le Wal-Mart le plus proche. Ellipse : j’arrive, habillée, dans un casino chic, sauf que la CIA m’a poursuivie, car j’avais abandonné Kristen Stewart en plein viol. Là, j’aperçois ma bassiste, qui est hyper-grande. A chaque fois, on rigole car je peux mettre ma tête entre ses gros seins en criant «motorboat !». Elle est propriétaire de mes fesses et je suis propriétaire de ses seins. On a des arrangements à l’amiable sur ce qu’on possède l’une l’autre. Bref, dans le rêve, elle me proposait de me cacher dans ses airbags, et la CIA ne me voyait pas. A la fin, je tue tous les agents de la CIA. Voilà où j’en suis dans ma tête en ce moment.
++ L’Instagram de Juliette Lamet et son profil chez VMA.
++ Le site officiel de Soko. Sorti chez Because Music, son dernier album, My Dreams Dictate My Reality, est disponible ici, et sa discographie est en écoute intégrale sur Deezer.
Séphora Talmud // Photos : Élodie Daguin.