Propos recueillis par Séphora Talmud. Photos prises par Elodie Daguin.
Deux hommes, deux destins. L’un dans la mode, l’autre dans la musique.
Ces deux dandies commencent à gagner en légitimité, à force de passion et de travail sans relâche.
Arthur Ouinet et David Simard partagent un regard pur, tourné vers l’avenir, plein de justesse et d’espoir. Leur parole offre une valeur ajoutée inestimable à leurs créations originales. Ils ont encore de beaux jours devant eux.
La qualité que vous préférez chez un homme / chez une femme
Arthur Ouinet : L’honnêteté / L’humilité
David Simard : La sensibilité / L’intelligence
Le pays où vous aimeriez vivre
Arthur Ouinet : En France, car c’est mon pays et j’en suis trop fier pour le quitter ; mais avec la possibilité de voyager souvent un peu partout dans le monde pour assouvir ma curiosité !
David Simard : Le Canada ! Surtout la côte ouest. Le paysage, la faune et la flore sont en harmonie avec mon monde intérieur.
Votre couleur préférée
Arthur Ouinet : Le bleu marine, car c’est pour moi une couleur éternelle qui représente la simplicité, l’élégance, la sobriété. Et à tout hasard, je dirais le rouge BORDEAUX !
David Simard : Le bleu marine. La couleur de l’océan.
Arthur Ouinet : Salut David ! Tu fais quoi dans la vie ?
David Simard : Salut Arthur ! Je suis musicien de folk et de country. Je viens de la côte ouest du Canada et je vis à Paris depuis 4 ans. J’ai 29 ans. Et toi ?
Arthur Ouinet : J’ai 26 ans, je viens de Bordeaux. J’ai fait des études de communication et j’ai créé une marque de vêtements qui s’appelle La.Sape, du prénom de mon associé Louis et du mien, Arthur, auxquels on a accolé le mot Sape.
David Simard : Ca veut dire quoi “Sape” ?
Arthur Ouinet : “Sape” a plusieurs sens. Dans l’argot français, une sape est un beau vêtement. Au Congo, dans les années 60, des congolais ont créé la “Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes” et en ont fait un sigle “SAPE”. C’est un style de vie, une manière de parler, de marcher, de s’habiller. C’est passionnant. Ca a été popularisé ces dernières années par la publicité, l’art et aussi malheureusement par Maitre Gims… La.sape était un terme qui sonnait très justement pour notre marque : on veut mettre en avant un produit durable, solide, ni cheap ni élitiste, sobre et élégant, sans être prétentieux.
David Simard : Okay cool ! Et vous travaillez comment ?
Arthur Ouinet : On travaille avec Samuel Beraha, un consultant de 65 ans, réputé pour son expertise et son savoir-faire, qui a tenu un atelier de confection à Bordeaux. Il connaît l’aspect technique, les patronages de chaque vêtement et nous transmet tout. Il a une façon de travailler “à l’ancienne” qui est unique. C’est un élément essentiel pour la.sape. C’est un peu l’homme de l’ombre. Sans lui, nous n’aurions pas pu faire tout cela. Il a travaillé pendant 20 ans pour Zucca, une marque japonaise d’excellente facture. Ils ont créé des collections de vêtements de travail pour la ville, et leur slogan était génial : « les vêtements d’actifs pour les inactifs. » Ces vêtements-là étaient fabriqués exclusivement à Bordeaux, mais en 2008, la crise économique a eu raison de cela et il a dû fermer son atelier. On veut refaire vivre son expérience aujourd’hui. Toi, tu as toujours su que tu voulais devenir musicien ?
David Simard : J’ai terminé le lycée et me suis dit que j’allais faire de la musique, car c’était tout ce dont j’avais envie. J’ai appris à jouer en autodidacte et ça marchait très bien. J’ai trouvé mon chemin presque tout de suite. J’ai écouté plein d’auteurs-compositeurs, comme Leonard Cohen, Rufus Wainwright, Jeff Buckley, Tom Waits, Hank Williams… Maintenant, mes influences modernes sont mon ami Timber Timbre, Petunia ou The Weather Station de Toronto. On vient de la même source.
Arthur Ouinet : Tu chantes en anglais ou en français ? Je t’avoue que je n’écoute pas ce style de musique, je préfère le hip hop.
David Simard : J’aime aussi beaucoup le hip hop, mais je ne connais que l’ancien. Je chante en anglais car je n’ose pas écrire, vu mon niveau en français et je ne veux pas faire quelque chose de moyen.
Arthur Ouinet : Je comprends.
David Simard : Mes chansons parlent de mes expériences, au sens large. Ca arrive que j’ai vécu ou ressenti quelque chose et que je commence à chercher l’esprit de cette expérience, pourquoi j’ai réagi comme ça. J’écris aussi pour d’autres artistes. Par exemple, en ce moment, j’aide un musicien français de pop electro r’n’b à écrire en anglais. En général, il commence par une phrase et une mélodie et je dois continuer. Je suis assez fort à ce jeu, j’aime bien. Mais c’est de la pop, donc c’est plus facile, car ça n’a pas besoin d’avoir un sens profond. Je trouve ça marrant d’être à mon bureau en train de chanter une chanson pop trash alors que ma copine est à côté et se demande ce que je fais !
Arthur Ouinet : On n’a pas le même mode de fonctionnement. Pour ma part, il faut que je produise quelque chose qui aboutit sur une chaîne beaucoup plus longue. Tu as de la chance, car tu peux gérer avec ton cerveau et ta voix. Nous, pour la.sape, on est deux, on est « fusionnels » en étant différents et c’est ce qui nous complète. Il y a aussi cette espèce de synergie avec Samuel, qui nous transmet son processus de création. Il est exigent avec nous et il n’y a que comme ça que l’on arrive à quelque chose de bien dans ce milieu-là aussi. Toi tu es quand même indépendant.
David Simard : Oui, je m’auto-produis, je cale mes dates de concerts, mais j’aimerais bien avoir un booker et peut-être un manager, seulement si c’est quelqu’un de complètement passionné, qui comprend mon esprit. Tout ça dans le but de gagner en indépendance dans mon travail. On a essayé de travailler ensemble avec ma fiancée, Anne Vegnaduzzo, mais on a très vite compris que c’était trop compliqué. Mais elle me soutient à 100% et elle m’aide. Elle est agent d’artistes, et de temps en temps on travaille dans un projet ensemble, qui n’est lié ni à sa carrière ni à la mienne. Elle est intéressée de me suivre pour que l’on se rende indépendants des grandes villes. On aimerait vivre dans un espace plus calme, car je passe beaucoup de temps sur la route en tournée. Paris représente un travail administratif et j’y rencontre beaucoup de gens de l’industrie musicale. Contrairement à Montreal, Vancouver ou Toronto où j’ai passé beaucoup de temps et où il y a une vraie scène et industrie folk, il y a plus de monde à Paris dans mes concerts mais les gens viennent seuls. C’est très intéressant, parce que les français ne font presque rien seuls. Même le mot en français veut dire «lonely» et pas «alone». He came lonely…
Arthur Ouinet : Tu joues dans des festivals ?
David Simard : Oui. J’aime beaucoup les festivals, c’est complètement différent. Vu que je joue une musique sombre et lente, c’est marrant, car les organisateurs ne trouvent pas toujours la bonne place pour moi. Mais je suis musicien depuis longtemps, donc je peux m’adapter, faire un set country plus ensoleillé pour tous les gens contents qui profitent de la nature. Il y a un festival canadien qui s’appelle Tiny Lights, dans une village de 200 habitants, qui avant était une ville minière de 1000 habitants. Il y a donc 2 hôtels, une église, une école, une salle communale et un bar.
Arthur Ouinet : Il y a toujours un bar !
David Simard : Haha oui ! Le festival se passe dans tous ces bâtiments. J’ai joué dans l’église, c’était super, il y avait une ambiance si particulière. Et ça sonne ! Ca t’évite aussi de dire des gros mots, surtout quand il y a des enfants. Après, tu vois, j’ai joué à Paris il y a un an dans un atelier de menuiserie. C’était une expérience magnifique, un moment incroyable. Il y avait 50 personnes côte à côte, serrées dans cet espace. Ces gens n’oublieront jamais cette expérience unique. Je crois que j’ai rarement eu l’opportunité de toucher le public de façon aussi profonde.
Arthur Ouinet : Tu as des groupies ?
David Simard : Les gens qui s’amusent seuls ! D’après ma page Facebook, ce sont 50% d’hommes et 50% de femmes, qui ont entre 26 et 48 ans. Ce sont des gens qui ont envie d’expérimenter quelque chose de sincère et qui peuvent forcément supporter une soirée calme, où l’on prend notre temps, parce qu’on a le droit. Normalement, je commence mes concerts avec une chanson très lente, comme ça, les gens qui n’aiment pas peuvent partir tout de suite ! Et toi, qui achète tes vêtements ?
Arthur Ouinet : On a choisi de créer une marque inspirée de vêtements de travail, pour hommes, car nous-mêmes les portons. Mais on voit au fur et à mesure que c’est intergénérationnel ; nos parents comme nos amis peuvent les porter. Des amies nous achètent quelques pièces unisexes. Après, ça représente énormément de travail de créer un vestiaire masculin complet avec 26 modèles, donc pour l’instant, avec les moyens humains actuels, nous ne pouvons pas lancer de vestiaire féminin. Mais ça me plairait beaucoup. On fabrique tout en France, nos tissus viennent d’ici. Ce n’est pas du tout pour faire quelque chose bleu blanc rouge, Arnaud Montebourg avec la marinière. C’est parce qu’on a des gens autour de nous qui ont un vrai savoir-faire et une vraie histoire. Ca coûte plus cher mais on a la chance d’avoir un atelier d’assemblage qui pratique des prix raisonnables et on a tout optimisé en terme de matières et de sourcing pour que les vêtements sortent à des prix accessibles pour du Fabriqué en France. Nos prix s’échelonnent de 150 euros pour des vestes classiques à 400 euros pour des manteaux. Pour l’instant, on n’en vit pas complètement. Je travaille en tant que vendeur pour une grande marque à côté. C’est une bonne école en terme de logistique et de tendances, même si nous ne voulons aucunement les suivre, car c’est totalement l’opposé de La.sape.
David Simard : Tu sais, pour gagner de l’argent à côté de ma musique, je suis menuisier et charpentier.
Arthur Ouinet : C’est pour ça que tu vis à Paris !
David Simard : Haha ! Quand je suis au Canada, j’essaie de travailler à côté, en plus d’y trouver mes inspirations. Paris, ça m’influence, ça me donne autant de choses que le Canada. Mais c’est presque impossible à digérer, car il y a toujours l’énergie, l’esprit de Paris qui entre et n’arrête jamais. Le piment dure tout le temps.
Arthur Ouinet : C’est peut-être un peu trop fort comme piment, justement, c’est ça qui est dommage. Paris, ça m’évoque forcément la capitale de la mode. C’est une ville à la fois exceptionnelle et bizarre. Je ne suis pas lié à cette ville, je n’ai jamais eu une envie de venir vivre ici, j’aime bien quand je viens quelques jours.
David Simard : 2-3 jours, seulement ?
Arthur Ouinet : Oui, car je vois trop les inconvénients. Le fait d’être à Bordeaux et donc en province nous permet de prendre du recul sur ce que l’on fait et d’éviter de rentrer dans cette sphère très fermée de la mode, qui à la finale, ne va pas être intéressante si tu restes dans cette bulle. On essaie d’y venir par moment, pour voir nos amis et trouver des revendeurs. On fait la démarche de se déplacer, de les rencontrer, à Paris, Rennes ou Montpellier, par exemple. On va cibler tous les magasins où un feeling avec nos vêtements va se produire.
David Simard : Tu as une chambre de libre à Bordeaux ?
Arthur Ouinet : Oui, tu peux venir, avec plaisir ! Tu y as déjà joué ?
David Simard : 4 ou 5 fois, au Fiacre et dans un atelier de lutherie.
Arthur Ouinet : Je vois. A Bordeaux, il y a encore quelques endroits à taille humaine, même si c’est en train de changer. C’est une ville avec un gros background musical et culturel. Il se passe plein de choses, mais des événements politiques font que ça peut stagner et qu’il n’y a pas d’accélérateur. C’est pour ça que ça reste constamment un ville belle, agréable, mais qui manque un peu de piment.
David Simard : Oui, c’est bien de comprendre l’inverse avec Paris. Je vis avec ma fiancée ici depuis quelques années, mais j’ai toujours ma carrière au Canada, je suis obligé d’y retourner, mais c’est un réel plaisir. Cet été, je vais faire une tournée 3 mois sur les îles de la côte ouest, c’est le Paradis ! Il y a peu de monde, mais sur une île de 500 personnes, tu peux en avoir 80 dans une maison ou jouer dans des festivals dans la nature. J’ai des semaines libres, avec ma guitare, ma voiture et ma tente, sans Internet ni eau chaude.
Arthur Ouinet : Pas mal ! Mais tu t’habilles comment au quotidien ?
David Simard : En général, je ne suis habillé qu’en jeans et t-shirt blanc. Je veux être simple, comme ma musique, sans prétention. C’est classique, mais ça marche dans tous les endroits et c’est bon marché et durable. Ma musique n’est pas à la mode. C’est vraiment comme tes vêtements, c’est inspiré de la même façon. J’essaie de faire quelque chose qui va durer, être honnête, sincère, vrai et sobre, durable, parce que ce sont les seules choses qui m’intéressent et qui gagnent mon respect. On voit clairement aujourd’hui que le rythme de vie et le volume d’informations changent tout le temps et vont de plus en plus vite. On sait très bien que ça ne peut pas continuer comme ça. Je connais ma raison de faire de la musique et je veux rester ainsi. C’est plus «sustainable» et tout le monde recherche ça. Mais la plupart du temps, les choses qui sont vendues comme authentiques sont mensongères.
Arthur Ouinet : Complètement. C’est souvent du marketing. On n’a pas besoin de critiquer les autres dans notre créneau, car on sait que l’on fabrique en France, dans notre atelier, et on voit comment ça se passe avec les gens qui font ça depuis toujours. Il y a une âme dans nos vêtements. La première partie de l’âme vient des ouvriers qui les construisent. Une fois sortis d’ateliers, nos vêtements sont très bruts, il y a donc une personne qui les délave avec tout son savoir-faire. Ce délaveur donne un supplément d’âme aux vêtements. Au toucher, on va avoir une sensation. Plein d’autres marques parlent d’authenticité alors qu’elles n’en ont aucune. « Authentique », c’est un mot tellement galvaudé, que Samuel Beraha nous interdit de le prononcer ! Ca marche pour tout : la musique, les vêtements, la nourriture. Nous, on revendique la normalité. On n’invente rien. Notre story-telling, c’est vraiment la rencontre entre Louis et moi avec l’histoire de Samuel et ce qui en découle. C’est un projet de vie. Je te rejoins sur ce que tu dis, on a envie de mettre en avant quelque chose de sincère, sauf que dans la mode, comme dans la musique, c’est difficile d’arriver à le faire croire aux gens, car on a tous été déçus par une marque ou un artiste.
David Simard : C’est une des choses que le public ressent rapidement, en effet. Quand j’écoute de la musique, si j’entends dans la 1ère chanson quelque chose de trop commercial, je sais tout de suite que c’est faux et je n’ai plus confiance, même si je vais écouter le reste des morceaux. Si tu trouves quelqu’un qui fait quelque chose par passion et qui ne suit pas les modes, tu peux être tenté de le croire.
Arthur Ouinet : C’est quoi pour toi une bonne chanson folk ?
David Simard : Ca dépend, ça pourrait être quelque chose qui exprime très bien une émotion ou une histoire. S’il y a les deux dans la même chanson, c’est encore mieux. Je cherche toujours à retranscrire un paysage ou évoquer une atmosphère avec la musique et les mots. C’est visuel mais c’est possible de faire ça avec la musique, comme d’exprimer une odeur de printemps, par exemple. Je cherche toujours les textes et la musique qui travaillent ensemble à donner une image. Ce n’est pas souvent que tu trouves ça.
Arthur Ouinet : C’est clair. Je partage complètement ta vision et comprends tes efforts dans cette recherche. Nous, on a voulu créer un vêtement masculin utile à la vie de tous les jours. Il n’y a pas cet aspect consumériste du « on achète, on jette ». On n’a pas de prétention esthétique, même si l’on a de beaux détails de coupe, mais sur l’aspect pratique du vêtement, sa solidité et sa durée dans le temps, si. Ce sont des détails qui font la différence. Par exemple, nos boutons ont deux points de couture, les sacs de poches des pantalons sont dans la même matière que les pantalons eux-mêmes, donc pas de risques d’être troués. Il faut réussir à surprendre les gens, donc on essaie de provoquer une alchimie, de mélanger des matières qui ne correspondent pas forcément à un thème de vêtements. On est obligé de répondre à certaines conventions mais c’est difficile. Avec mon associé Louis, on aimerait que la marque existe toujours dans 5 ans et soit dans le même univers, sans avoir eu besoin de travestir l’esprit de départ.
David Simard : Et moi donc !
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Séphora Talmud // Photos : Élodie Daguin.